Inscrit depuis 2009 au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, le maloya prend vie aux quatre coins de La Réunion. Et prend corps entre les mains expertes de Ti Pier, fabriquant d’instruments traditionnels.
Dans ce petit havre de paix qu’est l’îlet Quinquina, à Rivière des Pluies, nous retrouvons Ti Pier, de son vrai nom Jean-Pierre Gourville, et sa longue barbe blanche tressée jusqu’au nombril. Nous le suivons dans son local, une véritable caverne d’Ali Baba. Des dizaines d’instruments de musique s’exposent : roulèrs, pikèrs, satis, kayambs, bobres, mais aussi djembés, doums, morlons, matalons… quasiment tous fabriqués par ses soins !
De quoi « craz un bon petit maloya », la musique traditionnelle réunionnaise, un séga, la musique des Mascareignes, ou un moringue, qui accompagne le sport local du même nom, proche de la capoeira.
Né à St-Denis en 1955, Ti Pier a baigné dans la musique dès son plus jeune âge. « On récupérait des petites boîtes d’huile et on s’en faisait des guitares avec des câbles de vélo. J’ai grandi en étant libre, je faisais ce que je voulais ».
Adulte, il a travaillé sur des chantiers comme soudeur, pour la Compagnie marseillaise. « Et puis on m’a foutu dehors. Alors je me suis dit que j’allais monter un truc autour du maloya. » C’était en 1994.Il a fondé l’association Génération Pont-Neuve. Sa vocation : jouer du maloya traditionnel et fabriquer les instruments du maloya traditionnel, entre autres.
« Les jeunes du quartier sont venus me voir pour jouer avec moi. Mais il fallait des instruments ! Mon fils en a rapidement trouvé dans les hauts de Ste-Marie, et on s’est mis à jouer. J’ai aussi commencé à composer des morceaux, d’abord tout seul, puis avec les jeunes : on a travaillé ensemble, je leur expliquais comment composer une chanson ».
La musique au bout des doigts
« Et puis j’ai commencé à fabriquer des instruments. J’ai regardé comment étaient faits ceux qu’avait ramenés mon fils et je me suis lancé.Pour les kayambs, j’allais chercher des tiges de fleurs de canne à côté – à l’époque il y avait des carreaux de canne partout. Il faut aussi des graines de conflore, de safran fleurs ou autre mais elles doivent être régulières ! ». Désormais, Ti Pier utilise aussi du matériel de récupération, comme pour ce kayamb fait avec un tambour de machine à laver ! « A un moment il n’y aura plus de canne à La Réunion, il faudra trouver un autre système ».
« Quand quelqu’un avait un arbre à couper dans la cour, j’allais le couper et je récupérais le bois pour fabriquer des roulèrs, djembés, etc. Et je récupérais les peaux de bœufs lors des servis kabaré – cérémonies d’hommage aux ancêtres, NDLR. Il faut d’abord tailler le bois à la bonne hauteur. Puis on creuseau milieu, d’abord avec une perceuse puis avec un maillet et un bouge (ciseau à bois arrondi). Si le bois est dur, c’est plus dur mais la sonorité est meilleure ! Ensuite, avec un rabot ou un sabre je donne la forme aux instruments. Je peux aussi décorer les instruments, les peindre… ».
Il fabrique également les bobres (un arc musical équivalent du berimbao brésilien) de manière traditionnelle. « J’ai appris avec Nana Vasconcelos, un grand percussionniste brésilien qui est venu à La Réunion. Il m’a appris à récupérer le fil de fer dans les pneus de vélo » pour faire la corde.
Il y 5 ans, Ti Pier a été rejoint par Benjamin Gazar, alias Tümok (www.tumok.fr). « On s’est rencontré à St-Denis. Je lui appris à construire des instruments. Désormais on travaille, on fabrique, et on joue ensemble. J’aimerais former d’autres jeunes. Pour l’instant je suis encore debout mais il faut transmettre ce savoir-faire pour ne pas qu’il se perde ».
Ti Pier fabrique aussi sur commande, parfois pour de grands artistes réunionnais : des tambours pour les Tambours malbars, un triangle en aluminium pour Nathalie Natiembé, (« ça a un autre son ! »), un pikèr en jacaranda pour Gramoune Sello(« mais il ne l’a pas récupéré » (rires)), et bien d’autres dont il garde le secret.
En 2005, Ti Pier a sorti un album « pour gagner un peu d’argent, mais ça a foiré : ça a coûté plus cher que ça rapporté (rires). Là j’ai d’autres morceaux, d’autres textes je vais faire une bonne maquette et si d’autres personnes veulent me rejoindre pour chanter… »
Pour lui, « la musique n’est jamais finie, chacun travaille à sa façon. Quand j’ai commencé, j’ai fouillé un peu partout. Moi je compose en m’inspirant de Gramoun Lélé, Lo RwaKaf, etc. Même au sein du maloya, il y a différents styles dans le Sud, le Nord, l’Est, l’Ouest… et mes instruments sont pour tous les styles ! »
Ti Pier fabrique aussi des objets de décoration en bois, des pilons etc., propose des animations pour tous et participe à de nombreux événements publics (expositions, salons, etc.)
Texte Cécile Jeancolas
Photos Pierre Marchal
Pour contacter Ti Pier
06 92 81 17 93
02 62 67 37 37
australrtythmique@gmail.com
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