Les coulées du Piton de la Fournaise forgent des boyaux souterrains extraordinaires que l’on peut explorer avec un guide. Randonnée volcanique.

La Réunion est un gruyère que creuse à chaque éruption le Piton de la Fournaise.Lorsque les coulées de lave déboulent plein Est, direction l’océan Indien, elles coupent parfois l’unique route qui longe le littoral et plongent dans la mer dans un fracas d’écume et de vapeur. En dévalant les pentes du « Grand Brûlé », elles percent des boyaux improbables : les tunnels de lave, appelés aussi lava-tubes à Tahiti ou à Hawaï.

Le phénomène est impressionnant : la coulée se faufile sur le relief et forme une gangue mouvante, épaisse de parfois 60 m, comme ce fut le cas en 2007. La surface de la coulée, au contact de l’air libre, se refroidit et commence à se solidifier en croûte noirâtre. Dessous, le magma glisse encore, à près de 1000 degrés. Mais lorsque l’éruption faiblit, le débit de lave diminue, le niveau de la rivière de feu souterraine aussi. Le tunnel se vidange, laissant un conduit vide sphérique. Une vingtaine de tubes sont connus sur l’île, allant de quelques dizaines de mètres à plusieurs kilomètres. Les parcourir, c’est comprendre l’enfer des éruptions, c’est remonter le temps dans des décors hallucinants.

Roby, accompagnateur de montagne, nous a donné rendez-vous à la coulée de 2004. On se gare sur le parking aménagé à même la lave durcie, entre Sainte-Rose et Saint-Philippe, dans le « Sud sauvage ». A 90 m d’altitude et quelques gratons de l’océan. A pied, nous descendons sur les plaques de basalte gris, où poussent déjà des « bois de chapelets », premiers arbustes à coloniser les coulées. Nous retrouverons leurs racines six mètres sous la terre, dans le tunnel de lave…

Le plafond du tunnel a dégouliné

L’entrée du boyau ressemble à une grotte. Mais rien à voir avec la spéléo dans les gouffres calcaires de métropole. Les stalactites ? Elles n’ont pas attendu des siècles de concrétions pour gagner leurs dix centimètres de plomb argenté : c’est le plafond du tunnel qui a dégouliné, fondu sous la chaleur de la lave. Incroyable. En tombant, les gouttes de roche en fusion ont formé en quelques minutes des stalagmites bulbeuses. Sous la lumière des lampes frontales, les parois du tunnel brillent d’un éclat gris métallique. Presque artificiel. Hervé, un ostéopathe, n’en revient pas : « On dirait un décor kitch de science-fiction. Ou alors de l’art contemporain. Somptueux ». Anaïs, qui travaille dans une agence de pub parisienne, espère se servir un jour de ses photos « magiques ».

On progresse debout, à quatre pattes, parfois en canard. La température est agréable, dans les 25 degrés. Roby choisit, dans le dédale de tunnels, les boyaux les plus accessibles. Le papier d’aluminium dont semblent être recouverts les flancs concaves laisse place à une couche de chocolat, lisse, marbrée ici et là de points jaunes. Du soufre. On ne peut s’empêcher de caresser ces formes plastiques, de les presser entre les doigts pour vérifier que leur mollesse apparente a bien été figée par le refroidissement.

Parfois, la coulée s’est solidifiée plus vite sur les côtés, tout en continuant à s’enfoncer en son centre. On se croirait dans le métro, avec des « banquettes », illustrant les quais surélevés, et les rails, figurés par la lave « cordée », semblable à de gros rubans tordus de réglisse noire.

Glisser sur un toboggan sanguinolent

Nous progressons, dos courbé, tête casquée, sur une langue de basalte luisante : on imagine un mille-pattes géant, sorti du film Alien. Soudain, un grondement. Comme une éruption est en cours, 11km plus haut, au sommet du volcan, une touriste s’inquiète : le magma ne va-t-il pas surgir du tunnel ? Il ne s’agit que du vrombissement des voitures qui passent 6 mètres au-dessus : nous sommes juste sous la bien nommée Route des laves.

Un brusque dénivelé dans le tunnel a donné naissance à deux cascades, comme gelées dans leur mouvement. Nous les escaladons en rampant, pour déboucher dans une crypte, véritable capsule d’extra-terrestre. La voûte est en guimauve brune ; sur un autel naturel, une main pieuse a déposé la statuette de Saint-Expédit, une icône vénérée par les Réunionnais. Ambiance surnaturelle lorsque Roby allume les bougies. Tel une météorite, un bloc de basalte rouge bloque un méandre du tunnel noir. Le contraste est saisissant.

Au bout de deux heures, nous regagnons la surface par une autre lucarne, pour mieux replonger, quelques mètres plus loin, dans une seconde fissure. La cerise sur le gâteau. Pas de longue progression, cette fois, mais l’impression affreuse et merveilleuse de glisser sur un toboggan sanguinolent, de ramper dans le gosier d’un monstre. Les entrailles de la terre, au sens propre. La lave est restée rouge sang. Un monde caché à quelques pieds sous le basalte fissuré, que Roby entend faire découvrir au plus grand nombre.

Reportage Laurent Decloître
Photos Pierre Marchal