Les randonnées au cœur du volcan, interdites depuis 2003 en cas d’éruption, ne sont toujours pas autorisées. Les autorités réfléchissent pourtant à des excursions en petit nombre et avec des guides.
Un pique-nique familial au pied d’un cratère qui crache des lambeaux de lave ; un selfie au point de rencontre entre la roche en fusion et l’océan… Ces scènes surréalistes, Réunionnais et touristes les ont vécues des années durant au gré des éruptions du Piton de la Fournaise. Jusqu’à l’été 2003. Le 27 août de cette année, un étudiant tombe dans une faille et décède, carbonisé. L’Enclos, cette immense cuvette où se déroulent la plupart des éruptions, venait d’être rouvert par la préfecture pour permettre aux curieux d’admirer la terre en feu. Depuis, les pouvoirs publics ont interdit l’accès dès la moindre éruption. « On nous a confisqué la Fournaise ! », ne décolèrent pas les Réunionnais. «C’est l’âme de notre île », s’enflamme un passionné. Pierre, jovial prof d’économie et de gestion, se souvient même, enfant, d’avoir « joué au capitaine Haddock dans un cratère » !
Au pied des dernières éruptions
Face à l’interdit, les curieux en sont réduits à observer les éruptions depuis deux belvédères naturels qui surplombent l’Enclos, à plusieurs centaines de mètres de la lave : le Piton de Bert, au sud, ou le Piton Partage, au nord. Les deux balades longent une falaise et offrent une vue superbe sur la « caldeira », immense chaudron de 9 km sur 13, né d’un effondrement. D’autres, plus téméraires, descendent en misoukdans l’Enclos. Christophe, qui a depuis déménagé à Chambéry, se souvient avoir bravé l’interdit avec un ami pour admirer une éruption surgie non loin du Château Fort, un vieux cratère aux bords crénelés. « Respecter la consigne, c’était me priver d’un spectacle exceptionnel que je n’aurai plus jamais la chance d’observer ». Pour se rendre sur les lieux, le duo a crapahuté près de 3h. D’abord facilement, sur des dalles de basalte lisses et rebondies, puis en s’essoufflant sur des pentes de scories noires, ocres, scintillantes. A l’approche du cratère d’où jaillissait un geyser de 50m de haut, les compères ont traversé un chaos de lave « gratonnée » : des morceaux de magma instables, si coupants qu’ils ensanglantent les mains si vous vous y accrochez. Philippe et Christophe sont revenus « émerveillés » mais comprennent l’interdiction préfectorale : trop difficile pour le grand public.
Rien à voir avec l’éruption précédente, en septembre 2016. La fissure éruptive s’était ouverte à seulement trois quarts d’heure de marche du portail d’accès. Il suffisait de suivre un ancien sentier parfaitement balisé pour s’en approcher. Une simple balade… pourtant interdite, ce qui n’a pas empêché Estelle de s’y rendre. Avec deux amis, à quelques mètres de l’éruption au bruit de tempête, elle a savouré « la beauté de la planète en furie ». Le fleuve rouge, sur lequel flottaient d’énormes blocs sombres, progressait en crissant. Gilbert, un touriste également hors-la-loi, s’est approché de la coulée pour y déposer un étrange colis : de la pâte à pain qu’il a fait lever à la chaleur du magma !
Hyper-dangereux
Pour le colonel Hervé Berthouin, chef d’État-major de zone et de protection civile, ce comportement inconscient justifie les mesures de précaution. « Si on laissait les éruptions libres d’accès, il y aurait d’autres accidents », prévient le monsieur sécurité de la préfecture. Selon lui, « ce n’est pas un gentil volcan, il peut être hyper-dangereux ». Qu’en pensent les spécialistes ? Philippe Kowalski, directeur adjoint de l’observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise, ne sous-estime pas les risques ; mais il juge le volcan réunionnais, effusif, «plutôt sympathique », contrairement aux volcans explosifs, les plus courants sur la planète.
La preuve ? En octobre 2019, la dernière éruption s’est approchée de la route, dans le Sud de l’île. Cette fois, les pouvoirs publics n’ont pas pu empêcher le public de s’approcher, les possibilités d’accès étant trop nombreuses. Du coup, des milliers de Réunionnais ont pu côtoyer la coulée de gratons rougeâtres, parfois à moins d’un mètre. « Sa lé notre volkan », revendiquait un jeune. « C’est comme le Mordor » du Seigneur des anneaux, s’émerveillait une touriste, « mais en moins dangereux ». Effectivement, le spectacle fabuleux n’a causé aucune victime et les badauds en emmagasiné des souvenirs plein les yeux.
Des randonnées encadrées
Face à cette situation, et devant la pression, la préfecture a assoupli sa position et doit modifier le plan Orsec volcan. Il est prévu que les touristes, de plus de 16 ans, pourront descendre dans l’Enclos en cas d’éruption, à condition d’être guidés par un accompagnateur de montagne. Chaque visiteur se verra remettre un masque à gaz, des gants et de genouillères ; dans un premier temps, seules 80 personnes pourront se trouver en même temps dans l’Enclos. Ce qui est très peu : lors des éruptions, des dizaines de milliers de curieux se précipitent aux différents belvédères… Les guides devront avoir suivi une formation spécifique, qui vient de s’achever, pour être accrédités ; une radio VHF numérique et un traceur GPS permettront de suivre leur position et de les prévenir en cas d’alerte. Jérôme Turpin a suivi le module et créé l’association Sécurité Volcan qui assurera la gestion commerciale des sorties. « On n’a pas voulu privatiser le volcan, les Réunionnais ne l’accepteraient pas », promet le professionnel. Alors que le tarif normal d’une telle prestation s’élèverait à 70€, les guides souhaitent la facturer 10€. Reste donc à trouver des subventions auprès de partenaires… et à convaincre le nouveau préfet. Le précédent n’avait pas résisté à l’ouverture du parapluie, déclarant : « L’accompagnement sécurisé est réaliste », mais « le dispositif ne peut être totalement validé en l’état »…
On peut marcher sur la lave…refroidie
En attendant la prochaine éruption, et alors que la précédente fume encore, il est toujours possible de descendre dans l’Enclos et de marcher sur la lave… une fois les coulées figées. Nous suivons Didier Cologni, aux allures de pirate avec son bandana sur le crâne et ses anneaux à l’oreille. L’accompagnateur de montagne se défend toutefois d’être un flibustier du volcan : « Mon credo, c’est d’abord la sécurité, viennent ensuite l’émotion et le plaisir ». Nous empruntons l’escalier qui déboule abruptement dans la caldeira, à flanc de rempart. Le cratère Formica Léo, soufflet de scories orange, nous accueille, tranchant sur le lit de magma noir qui semble onduler sous nos pas. Nous marchons sur des champs de lave « cordée », plissée et ridée comme la peau d’un éléphant, avant de grimper vers le Dolomieu, le cratère sommital. La Tour Eiffel y tiendrait presqu’entière ! Mieux vaut ne pas trop s’approcher du bord de ce trou impressionnant, traversé par des failles menaçantes : en 2007, le fond du cratère s’est effondré sur 300 mètres de profondeur.
En redescendant, nous contournons la coulée de 2010, hérissée de gratons sur trois mètres de hauteur. Une broutille au vu de la « coulée du siècle », en 2007, épaisse de plus de 60 mètres, qui a traversé la route et s’est jetée dans l’océan ! Des tunnels de lave creusent le sol de tranchées plus ou moins larges. Beaucoup plus bas, sur le littoral, certains se parcourent, en mode spéléo. Petite pause à l’intérieur de la Chapelle Rosemont, une grotte de lave « plutonique », couleur sang, qui a depuis disparu, ensevelie sous une nouvelle coulée. Le guide repère une araignée minuscule qui survit dans cet antre minéral, cachée à l’ombre d’un tumulus de magma aux allures de colombin. Le soleil alterne avec le brouillard et la pluie, accentuant l’ambiance lunaire de la « caldeira ». Magique, même sans éruption !
Texte Laurent DECLOITRE
Photos Pierre MARCHAL
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